Rédiger l’histoire d’un objet
Un semis de cristaux myosotis cerne une mandorle d’où une silhouette de la Vierge pourrait surgir. Peut-être l’un de mes plus beaux bijoux. J’aime prononcer ce mot en espagnol, joya (avec le j en r guttural) : quelque chose de rugueux et de royal à la fois. Sa valeur réelle se calcule en centimes. Aucune matière noble dans ma bague de pacotille. Quelques grammes de métal, déjà oxydés à force de trainer dans les vide-poches de la maison. Quelle petite main d’Inde ou de Chine à taillé cette forme délicate ? Qui a choisi ce tendre bleu gris ?
Les strass scintillent sous le néon blanc du cabinet médical où je patiente ce matin. Mon imagination s’égare dans le reflet de ce bleu Trianon, cher à Marie-Antoinette. Le comte de Fersen l’aimait-il vraiment ? Les scientifiques au chevet de leur correspondance, abîmée par le temps, semblent le confirmer. Avec leur réserve habituelle, ils attestent d’une « certaine intensité des émotions » traversant leur échange épistolaire.
Soudain, le glouglou prosaïque de l’aspirateur à salive du dentiste me tire de ma rêverie bijoutière. Les taffetas du Petit Trianon se dissipent dans mon esprit. Je fais tourner ma bague à 3 francs 6 sous autour de mon doigt, comme pour me rassurer.
- Eh bien c’est à vous Mme Alegria ! claironne la dentiste dans un brusque mouvement de porte.
Je me lève, engourdie par les songes mais altière. Un talisman au creux de la main.
(micro-nouvelle du quotidien)